Avec une volatilité élevée sur les actions et un rendement historiquement bas des obligations, l’attention des investisseurs s’est récemment portée sur les monnaies. Cela est dû à la guerre des devises qui a éclaté en 2010 et qui s’est accentuée ces derniers temps.
Les récentes décisions du Brésil de réduire les taux d’intérêts pour stopper l’appréciation du real et de la Suisse de rattacher le franc à l’euro sont deux exemples de pays qui dévalorisent leur monnaie par rapport aux autres, ou qui du moins essaient de stopper leur appréciation. Le monde est maintenant entré dans une phase de protectionnisme , comme dans les années 1970 et avant dans les années 1930, quand les pays volaient la croissance économique des pays voisins en dépréciant leurs monnaies pour améliorer les exportations.
La Suisse et le Brésil sont de simples figurants dans cette guerre mondiale. Les principaux acteurs sont les Etats-Unis, l’Europe et la Chine et leurs monnaies respectives, le dollar, l’euro et le yuan. La dynamique est simple – les trois aimeraient avoir une monnaie plus faible par rapport aux autres, pour aider leurs exportations.
La Chine a le moins d’arguments pour justifier une dévalorisation, donc elle considère le rattachement au dollar comme la meilleure chose à faire pour éviter que sa monnaie ne monte. Les Etats-Unis ont plus d’influence : ils ont la principale monnaie de réserve et une planche à billets, ce qui leur permet d’imprimer facilement pour dévaluer. L’Europe veut désespérément déprécier sa monnaie, mais dépend de la Chine pour acheter ses bons du trésor, mais aussi des Etats-Unis pour les liquidités en dollar sous la forme de lignes d’échanges de devises (swaps), de sorte qu’elle n’a aucun moyen de pression sur les deux autres. Par ailleurs, l’Allemagne a historiquement toujours maintenu une exportation forte, même avec une monnaie forte, en raison de sa compétitivité, de sa culture homogène et de la coopération patronale-syndicale. Cela était vrai dans les années 1970 avec un deutsche mark fort et c’est encore le cas aujourd’hui.
Le dollar US se dévalorise contre le yuan et l’euro : Les Etats-Unis obtiennent ce qu’ils veulent. La Chine réévalue à la hausse contre le dollar, mais conserve un rattachement à l’euro : Elle obtient la moitié de ce qu’elle veut. Et l’euro reste fort face au dollar et attaché au yuan : donc elle n’obtient rien de ce qu’elle veut. Cela a été la tendance dominante depuis Juin, jusqu’à que les Chinois laissent finalement le yuan s’apprécier face au dollar.
Il y a un seul problème dans cette problématique liée à la guerre des monnaies. L’Allemagne est capable de survivre avec une monnaie forte, mais le reste de l’Europe ne peut pas et les régions d’Europe, en particulier la Grèce, sont insolvables. Jusqu’à un certain point, les Grecs doivent accepter l’austérité budgétaire imposée par les Allemands. Mais au-delà d’un certain point, les Grecs ou les Allemands refusent, ce qui accentue la crise et menace la stabilité du système financier mondial. À ce moment là, soit l’euro doit s’affaiblir de manière significative ou l’Allemagne doit sauver la Grèce. Les réticences allemandes sur le plan du sauvetage ont récemment entrainé une faiblesse de l’euro et une certaine rupture politique. Cependant, cet affaiblissement de l’euro a brisé l’entente globale avec la Chine, qui s’est retrouvé confronté au pire des cas : un euro plus faible et un dollar plus faible dans le même temps. La Chine est prête à accepter l’un ou l’autre, mais pas les deux.
Nous sommes donc dans une guerre des devises dans laquelle tout est temporaire et où tout est juste une question de temps avant que la monnaie forte ne cherche à jouer le jeu de la dévalorisation que tout le monde joue. Vu que tout le monde ne peut dévaluer en même temps, chaque « gagnant » avec une monnaie faible doit produire un «perdant» qui se retrouve avec une monnaie forte. Au début, l’Europe était le grand perdant, mais c’est maintenant la Chine qui commence à assumer ce rôle. La Chine ne le tolérera pas et a poser deux conditions. Si l’Europe compte sur la Chine pour acheter des emprunts d’Etats européens et atténuer la crise, elle doit offrir des conditions commerciales plus favorables à la Chine. Et si l’euro ne se renforce pas rapidement, la Chine pourrait attacher de nouveau le yuan au dollar, et donc empêcher ce que les Etats-Unis espéraient accomplir avec leur politique du dollar faible, améliorer les exportations US.
L’ensemble du système mondial est à un tournant critique avec les obligations souveraines, les devises, les marchés boursiers et le sort de tous les politiciens en jeu. Le but caché des politiques d’assouplissement monétaire QE et QE2 a toujours été de dévaloriser le dollar en provoquant l’inflation en Chine en leur forçant la main. Les critiques ont dit que l’assouplissement monétaire n’a rien fait pour aider l’emploi et la consommation. Mais cela n’a jamais été l’objectif principal – le but était d’affaiblir le dollar afin d’aider les exportations et obtenir des emplois de cette façon, mais cela prend du temps. J’ai retiré le QE3 de mes attentes à la fin 2010 quand il devenu clair que les transferts de la Fed étaient suffisants pour maintenir des rendements bas sur les bonds du trésor US et que la Chine a finalement commencé à se détacher le yuan du dollars en le laissant s’apprécier. Pour l’instant, le QE3 est toujours possible. Mais si l’euro s’affaiblit et la Chine se rattache au dollar, ce sera le signal pour plus de politique d’assouplissement quantitatif QE3. Il est difficile de savoir comment cela va se passer, mais au moins nous savons ce qu’il faut esperer. Si vous voulez savoir si une nouvelle vague de politique d’assouplissement quantitatif va se réaliser, surveillez l’euro.
Enfin, il n’est pas tout à fait vrai qu’il n’y a pas de vainqueur dans une guerre des devises. Il y a toujours un gagnant : l’or.
Interview réalisée par Eric King pour King World News
Laisser un commentaire