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Comment êtes-vous arrivé là ? Ne bougez pas, je vous repasse le film en fast-forward.
7 août 1964. Suite aux incidents du golfe du Tonkin, le Congrès des États-Unis approuve une résolution qui offre au président Lyndon Johnson la possibilité de « prendre toutes mesures nécessaires pour faire échec au communisme ». Les bombardements font rage et le napalm coule à flots à partir de mars 1965.
Janvier 1969. Richard Nixon entre en poste à la présidence après avoir assuré détenir un plan secret pour terminer la guerre. Les excédents de la balance des paiements courants US laissent place aux déficits. Les stocks d’or de Fort Knox s’amenuisent au fur et à mesure que les concurrents commerciaux des Etats-Unis demandent à échanger leurs dollars contre du métal jaune. Jimi Hendrix fait part de son point de vue sur la présence américaine au Vietnam en transformant sa Stratocaster en mitrailleuse dans Machine Gun.
15 août 1971. Faute d’avoir une solution pour mettre fin au conflit, le président Nixon prend une décision qui va lui permettre de continuer de le financer, sans pour autant avoir à se séparer de son précieux métal jaune. En promulguant l’Executive Order 11615, il rompt unilatéralement le lien qui unit l’or au système monétaire international. C’est la fin du système de Bretton Woods issu des accords éponymes du 22 juillet 1944. Place à la libre cotation de l’or en dollars. Alors qu’Hendrix a rejoint le Club des 27 depuis presque un an, Lennon chante Imagine. L’once cote 43 $.
30 avril 1975. Saïgon est prise par l’armée populaire vietnamienne. Deux ans après la guerre du Kippour et le premier choc pétrolier, le métal jaune vaut 167 $ l’once. L’inflation américaine atteint des niveaux si élevés que les taux d’intérêts réels sont très faibles, voire négatifs. Ils le resteront jusqu’en 1980, comme en atteste ce graphique de Casey Research.
Décembre 1979. Le communisme avance sur tous les fronts. L’URSS prend possession de Kaboul. Des régimes militaires se sont installés en Amérique latine et en Turquie. Deuxième choc pétrolier. L’once avoisine les 450 $.
Janvier 1980. En deux mois seulement, le prix de l’or a presque doublé. Paul Volcker, le nouveau directeur de la Fed, siffle la fin de la partie après que le métal précieux ait atteint un plus haut à environ 850 $. Les taux d’intérêt sont portés à 20%. La bulle de l’or explose.
1980-2000. S’ensuivent deux décennies de politique monétaire rigoureuse (faible niveau d’inflation, taux réels positifs) durant lesquelles l’or stagne. Le métal passe rarement au-dessus de la barre des 400 $.
2001. Quelques mois après le Nasdaq (explosion de la « bulle internet »), ce sont les tours du World Trade Center qui s’effondrent. La crainte d’une récession économique conduit Alan Greenspan, le successeur de Volcker à la tête de la Fed, à baisser progressivement les taux d’intérêt à un niveau qui finit par être inférieur à l’inflation. Le dollar entame sa grande baisse et l’or commence sa route qui le conduira vers de nouveaux plus hauts. C’est le début de la formation de la gigantesque bulle de crédit qui portera les métaux précieux et le marché immobilier à des sommets, avant que se matérialise la crise des subprimes, peu après le début de l’ère Bernanke (février 2006). Kurt Cobain ayant rejoint Brian, Jimi, Janis et Jim, les Dictators se demandent Who Will Save Rock & Roll ?
2008 – mars 2013. La suite est une succession de baisses des taux, d’injections monétaires et de rachat de dette publique. Ce graphique issu de la dernière mouture du rapport In GOLD we TRUST de la banque ERSTE montre que la « méthode Bernanke » profite grandement à l’or jusqu’en septembre 2011 (1.900 $ l’once), avant que le dollar US ne joue lui aussi le rôle de valeur refuge face aux perspectives d’explosion de la zone euro.
Au 1er mars 2013, l’or s’est replié d’environ 20% par rapport à son dernier record en nominal. L’once cote 1.570 $.
Que dire des deux périodes 1971-1980 et 2001-2013 ?
La hausse de l’or des années 1970 aura duré 9 ans avant de déboucher sur une bulle. La progression entamée au début du XXIème siècle se poursuit quant à elle depuis 12 ans.
Pour ce qui est des similarités, ces deux marchés haussiers se sont développés alors que la machine de guerre US tournait à plein régime (Vietnam, Afghanistan #1… ; Afghanistan #2, Irak #2….), dans un contexte de taux d’intérêt réels négatifs ou en baisse, et de forte dépréciation du dollar vis-à-vis des autres devises.
Outre des changements de mode très marqués et parfois regrettables en matière de musique, de nombreuses divergences distinguent les deux époques.
Sur le plan du timing tout d’abord. Au cours des années 1970, la majeure partie de la progression de l’or s’est faite entre 1977 et 1979 et le prix de l’once a plus que doublé au cours du mois qui a précédé le krach. Le terme de « bulle » est tout à fait adapté pour décrire l’évolution subite de ce cours, dans un processus auto-alimenté par la ruée des épargnants occidentaux auprès des négociants en métaux précieux. Au contraire, depuis 2001, le cours de l’or augmente progressivement dans le cadre d’une hausse saine marquée par des accélérations soudaines et des consolidations peu profondes. Course contre la montre dans les années 1970, marathon au XXIème siècle naissant ?
Deuxième différence de taille : l’inflation. Galopante dans les années 1970, elle semble aujourd’hui sous contrôle. Cependant, si la vitesse de circulation de la monnaie dans l’économie devait se mettre à augmenter, les masses de liquidités déversées par la plupart des grandes banques centrales pourraient finir par se faire sentir au niveau des prix à la consommation. L’Histoire montre que les épisodes d’hyperinflation ont, entre autres inconvénients, celui de se déclencher de manière totalement imprévisible.
Ensuite, au niveau du poids de l’or physique dans le portefeuille d’investissement mondial : selon le CPM Group, l’or représentait moins de 1% des actifs mondiaux en 2012, contre presque 3% en 1980. Autant dire qu’on est encore loin des files d’attente rue Vivienne à Paris.
Last but not least, l’investisseur occidental n’est plus le seul participant. La répartition géographique de la demande n’a aujourd’hui plus rien à voir avec ce qu’elle était il y a 40 ans. La Chine, l’Inde et bien d’autres pays sont cette fois de la partie, et ce sont eux qui tirent la demande, comme l’illustre ce graphique du Conseil mondial de l’or.
Alors, le scénario catastrophe du début des années 1980 est-il susceptible de se reproduire ? Egon von Greyerz expliquait il y a peu que cela est difficilement envisageable : « Après ce mouvement de l’or [en 1979-janvier 1980], Paul Volcker est arrivé et a considérablement augmenté les taux d’intérêt parce que l’inflation était hors de contrôle, ce qui a fait chuter le prix de l’or. Mais il est peu probable que cela arrive cette fois parce que ce serait la faillite du gouvernement ».
Il est également très difficile d’imaginer que l’économie mondiale se passe du jour au lendemain de l’aide des banques centrales. Philippe Béchade écrivait à propos de l’annonce de la Fed du 20 février (concernant l’éventualité d’une fin anticipée des déversements de liquidités) que « De toute façon, même la possibilité d’une réduction de la taille du QE3 est une hypothèse vide de sens puisque sans les achats de bons du Trésor, l’Etat américain aurait le choix entre faire instantanément défaut sur sa dette ou cesser de payer des millions de fonctionnaires ».
Oui, car voyiez-vous, une autre divergence significative entre le contexte des années 1970 et la situation présente est le développement phénoménal de ces Nouveaux Monstres que sont les dettes publiques. Ce graphique d’Olivier Berruyer donne un aperçu de l’évolution de la situation américaine entre 1945 et 2011.
Tout laisse à penser que lorsque les banques centrales auront la possibilité de remonter leurs taux directeurs, elles le feront de manière progressive, laissant aux investisseurs le temps de se séparer de leurs métaux au fil de l’eau, lorsque les taux d’intérêts réels auront rejoint des niveaux raisonnables.
En définitive, la comparaison entre le marché des années 1970 et celui qui a débuté en 2001 fait apparaître plus de différences que de points communs. La montée de l’or et de l’argent à leur niveau de valorisation maximum risque cette fois du prendre du temps. Non pas parce que l’économie est plus saine ou plus résiliente que dans les années 1970, mais parce que nos dirigeants actuels ont une préférence marquée pour les manœuvres dilatoires. « Kick the can down the road », disent les Américains.
Nicolas Perrin
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